Le témoignage de Judy
Bonjour, je m’appelle Judy, je suis une enfant adulte d’alcoolique (EAA) et une chrétienne qui lutte contre les effets d’un foyer chaotique. Je suis l’aînée d’un officier de carrière de l’Armée de l’Air, et j’ai donc appris, très jeune, à ne m’attacher à rien, parce que les au revoir font bien trop mal. J’ai commencé à construire des murs pour garder les autres à l’extérieur.
J’aimais beaucoup mon père mais le plus clair de mon enfance, il n’était jamais à la maison, nous laissant, moi et mes frères et sœurs, entre les mains d’une mère qui se mettait en colère et critiquait.
J’ai grandi avec la pensée que quelque-chose n’allait pas chez moi
J’ai grandi avec la pensée que quelque chose n’allait pas chez moi, non pas dans ma famille. J’avais beau essayer, il n’y avait rien qui puisse faire plaisir à ma mère. Des murs plus élevés et plus épais se sont érigés.
Ma sœur Jéri naquit un an et un jour après moi. Dès le début, je me suis sentie en concurrence avec ma sœur. Ma mère nous dressait l’une contre l’autre. Si Jéri et moi faisions quelque chose de mal, c’était moi qu’elle punissait parce que j’étais la plus âgée et que j’aurais dû montrer davantage de sagesse. Si Jéri faisait quelque chose de mal, c’était moi qu’elle punissait aussi parce que j’étais la plus âgée et que j’aurais dû l’empêcher de faire des bêtises. Parlons de favoriser le développement d’un codépendant! Si je pleurais, on m’envoyait dans ma chambre et on me disait de ne pas en sortir avant d’avoir le sourire aux lèvres.
J’ai appris à porter un masque
J’ai donc appris à porter un masque et à ne jamais révéler ma souffrance intérieure.
Dès l’âge de cinq ans, j’étais très responsable, je devais l’être afin de survivre. J’ai appris à ne jamais demander de l’aide et à anticiper toutes les humeurs de ma mère. Je me faisais même un devoir de protéger mon frère cadet et mes sœurs de la rage de ma mère et de les réconforter. J’étais aussi confrontée à ma culpabilité lorsque j’échouais. Mais avant tout, nous devions paraître parfaits face au monde extérieur. La remarque préférée de ma mère lorsqu’elle nous surprenait à faire quelque chose de mal, c’était: «Que vont penser les gens?»
Lorsque je suis entrée à l’école secondaire, j’étais devenue une jeune fille en colère. Mais, bien sûr, comme les jeunes filles bien élevées ne se fâchent pas, en particulier dans la maison de ma mère, à la place j’ai appris à pleurer. Ma punition pour avoir pleuré, c’était d’écrire cent fois: «Aide-toi et le ciel t’aidera». Son idée, c’était de guérir une pleurnicharde, mais moi j’en concluais que Dieu n’aidait que les gens parfaits et je savais que je n’en faisais pas partie.
Un Dieu inaccessible
Je ne savais pas grand chose sur Dieu car, dans ma famille, nous n’allions à l’église que de temps en temps. Nous allions à l’église plus pour l’image de marque que pour l’adoration. Nous priions avant de manger, mais c’était plus une routine qu’une prière. Je me souviens avoir chanté «Jésus m’aime» et «Jésus aime les petits enfants», mais les paroles n’étaient que les paroles d’un chant, elles ne signifiaient rien pour moi. Et donc, à l’âge du lycée, ma notion de Dieu était celle d’une personne inaccessible qui vivait au ciel, avec un Fils, Jésus, et qui aidait les gens parfaits quand il n’était pas trop occupé.
Lorsque j’ai eu quatorze ans, mon père a été envoyé au Vietnam. J’ai vécu la pire année de ma vie, parce que la seule personne qui m’aimait était partie. Papa est revenu un an plus tard, mais il avait développé un grave problème d’alcoolisme. Il était à la maison, mais il s’est coupé de toute la famille. Son rejet m’a bouleversée. J’essayais sans cesse de trouver ce que j’avais fait de mal. Ma vie à la maison est devenue un cercle infernal: plus mon père buvait, plus cela faisait enrager ma mère, et plus elle était enragée, plus il buvait.
Ne parle pas, ne fais pas confiance, ne ressens rien
A l’âge de seize ans, j’ai découvert les garçons. J’ai compris que si vous couchez avec eux, ils vous disent: «Je t’aime» et ils vous tiennent dans leurs bras et, pendant un moment, cette terrible douleur intérieure disparaissait. Lorsque j’entrais au lycée, j’étais une lycéenne exemplaire avec des notes parfaites et une réputation de fille très épanouie.
C’est cette année-là que j’ai découvert que mes parents avaient «dû» se marier parce que ma mère était enceinte de moi. Pas étonnant que ma mère m’ait tant haïe et que mon père buvait tant, me disais-je, certaine que c’était de ma faute. Peu de temps après, j’ai touché le fond. Ma vie de famille, la pression pour être parfaite et mon comportement sexuel, ça faisait trop à gérer et j’ai tenté de mettre fin à mes jours. Dieu merci, je n’étais pas douée dans ce domaine, mais à partir de ce moment, je n’ai fait que suivre passivement le rythme de la vie. J’avais bien appris ma leçon: ne parle pas, ne fais pas confiance, ne ressens rien. J’ai créé un monde imaginaire basé sur une pensée magique et des «si seulement» pour remplacer la réalité des promesses et des rêves brisés.
Une rencontre décisive
L’été précédant ma dernière année de lycée, j’ai accompagné une camarade de classe à l’église où j’ai découvert Christ. Du moins, comme cela se faisait dans cette église, je me suis avancée et j’ai prononcé la prière comme tous les autres. Je me suis même fait baptiser. J’ai vraiment cru que les choses allaient changer. Il fallait qu’elles changent! Quand ma mère a appris ce que j’avais fait, elle a explosé. Elle a dit que je me retrouverais en enfer pour ce que j’avais fait. Bébé, j’avais déjà été baptisée et ce que j’avais fait était impardonnable. A partir de ce moment, j’ai été convaincue que Dieu ne m’aiderait jamais.
Aux prises avec la violence
Mais c’est alors qu’un garçon du nom de Chris est entré dans ma vie. Je n’avais plus besoin de Dieu. Peu m’importait qu’il soit sorti avec ma sœur auparavant. J’étais déterminée à réussir là où ma sœur avait échoué.
Mais cet athlète vedette avait un léger défaut de caractère: un tempérament violent. Un jour, il m’a carrément bousculée dans une pile de tables. Je suis allée au secrétariat pour demander de l’aide, mais on m’a dit que je ne devais pas inventer des histoires sur les gens convenables. J’ai appris une importante règle ce jour-là: les gens préfèrent croire une image plutôt que la vérité.
Je suis restée avec Chris, bien qu’il m’ait battue deux autres fois avant la remise des diplômes. Après tout, je croyais que c’était ma faute, et si j’arrivais à être parfaite, il ne me battrait plus. Chris est rentré à West Point (école militaire de prestige) et je suis allée à la faculté de droit «William and Mary»; nous nous sommes mariés après la remise des diplômes. Durant la nuit de noces, il m’a gravement battue parce que je n’étais pas vierge. Effrayée et seule, je me suis retirée plus encore dans ma coquille. Je ne pouvais pas rentrer à la maison pour dire que j’avais eu tort, ce qu’il me restait de fierté ne me le permettait pas. J’ai donc choisi de mettre un pied dans le cycle dans lequel vivent la plupart des femmes battues: si je me donne du mal, alors cette folie va s’arrêter. J’ai assumé toute la responsabilité pour la violence dans mon couple. Toute mon existence tournait autour de la notion de faire plaisir à Chris, qui est devenu mon Dieu.
La violence augmentait à mesure que Chris consommait plus de marijuana et d’alcool. Cela ne s’est pas arrêté au niveau verbal et physique, mais il a continué jusqu’aux abus sexuels. Une fois, j’ai essayé de fuir avec mon fils Jeff, alors âgé de six mois (il a presque dix-huit ans maintenant). Chris est rentré à ce moment-là. Il a compris que j’essayais de partir et il m’a battue comme jamais auparavant. Alors qu’il tapait ma tête contre le mur avec ses mains autour de ma gorge, il a dit que si j’essayais à nouveau de le quitter, alors personne ne me retrouverait plus jamais. Puis il a ajouté en riant: «Vas-y, va tout raconter. Personne ne te croira. Je suis un officier parfait et un diplômé de West Point. Ils croiront que tu es folle.» Je me suis tue et ne suis jamais partie. Je cachais mes bleus et mon âme. Je commençais vraiment à croire que j’étais folle et que Dieu me punissait pour tous les gars avec lesquels j’avais couché. Je croyais que je recevais ce que je méritais. Puis j’ai dû admettre que Christ était infidèle, ce qui me confirmait que j’étais sans valeur et indigne d’amour.
Malgré tout ce chaos, nous étions le couple parfait aux yeux du monde extérieur
J’avais appris que tout était une question d’image et j’y mettais toutes mes forces pour la préserver.
Notre fils aîné, Jeff n’était pas insensible à la violence. Il se souvient que j’ai été battue. La plupart de ses souvenirs, cependant, ce sont les sons de ma douleur et de mes larmes. Il entendait la violence durant la nuit, puis il se levait le matin et voyait la figure souriante de maman, qui faisait comme si de rien n’était. Je vais être honnête avec vous, je ne savais pas que mon fils avait tous ces souvenirs. À 16 ans, Jeff a été hospitalisé pour dépression et tendances suicidaires. Le docteur m’a posé des questions sur les souvenirs de Jeff pour confirmer. Je pensais qu’il dormait, je pensais l’avoir en quelque sorte protégé. Durant toute sa vie, cela avait été mon but: l’aimer de tout mon cœur et le protéger à tout prix de la violence. Néanmoins, tout mon amour et ma protection ont contribué à sa confusion. J’avais pris pour habitude d’inspecter sa chambre pour m’assurer que tout était parfait. Je refaisais ses devoirs et ses projets pour m’assurer qu’ils étaient parfaits. Je m’assurais que tout, dans nos vies, était à la hauteur des standards de Chris. J’étais motivée par l’amour, mais ce que j’enseignais à mon fils, par mes actions, c’est qu’il ne pouvait rien faire correctement.
En septembre 1989, on a découvert que Jeff était atteint de diabète. Le même mois, la secrétaire de Chris a été renvoyée pour mauvaise conduite le jour où Chris a rompu leur liaison afin de sortir avec une autre personne de son entreprise. Je ne pouvais plus supporter tout ça et j’ai alors trouvé le courage de demander à Chris de partir. Pour une fois, les choses ont changé et je suis devenue puissante: il m’a supplié de ne pas le chasser. Avec du recul, je peux dire qu’il tenait à tout prix à conserver son image de marque au bureau, mais à l’époque, je pensais qu’il m’aimait et qu’il était sincère dans sa volonté de revenir vers moi. En janvier 1990, Justin a été conçu et j’étais vraiment heureuse pour la première fois dans ma vie. Ça n’a duré que six mois. Le sixième mois de ma grossesse, j’ai découvert que Chris avait une nouvelle liaison. Comme j’étais enceinte, il ne me battait pas, mais il enrageait jusqu’à ce que je sois si bouleversée que je commençais à avoir des douleurs de l’accouchement. Puis il a battu Jeff. Je me retrouvais à nouveau au fin fond de ce gouffre sombre et familier du chaos, seulement je n’étais plus toute seule, j’y avais précipité avec moi ce qui m’était le plus cher au monde: mes garçons.
Je les ai entraînés dans mon monde d’isolement. Nous nous cachions du monde extérieur et avons complètement exclu Chris. J’ai appris à Jeff à se fermer émotionnellement, à marcher sur la pointe des pieds et à ne faire confiance et à ne parler à personne. Il a aussi appris à préserver notre image de marque à tout prix. Nous formions une équipe solide, mère et fils, c’est ce que nous devions faire pour survivre. Et c’est au milieu de cette pagaille que Justin est né. Il était le centre d’attention de tout le monde, parce qu’avec Justin, on pouvait oublier le chaos et la douleur pendant un temps et tenir l’innocence pure.
La découverte des EAA
Une année après sa naissance, j’ai entendu parler des EAA. Il m’a fallu six mois avant de trouver le courage de me rendre à une réunion. Je me souviens de beaucoup de choses concernant cette première réunion, parce que c’était très puissant. On m’a chaleureusement accueillie; je ne savais même pas combien j’avais faim d’un sourire. J’ai entendu la lecture du problème et de la solution et j’ai vite réalisé que c’était là ma place. Bien sûr, je pensais qu’après quelques réunions, je serais guérie. Lorsque les gens ont commencé à parler de leur histoire et que j’ai en